Diligence responsable : une initiative nécessaire pour un enjeu multifactoriel

Le Forum 2023 de l’OCDE sur les chaînes d’approvisionnement en minerais responsables a été l’occasion de croiser les regards sur ce sujet stratégique et de souligner sa dimension multifactorielle. OCIM Metals & Mining était présent.

Organisée au siège parisien de l’OCDE, l’édition 2023 du Forum sur les chaînes d’approvisionnement en minerais responsables s’est achevée sur un constat unanime : celui d’une interconnexion croissante entre les enjeux de lutte contre la corruption, de sauvegarde de l’environnement et d’engagement avec les communautés minières dans les zones sensibles ou à haut risque. La prise en compte de cette intersectionnalité exige plus que jamais d’établir une compréhension commune du devoir de diligence responsable, comme le Guide de l’OCDE l’a codifié il y a près de 10 ans et proposé un livret de mise en œuvre opérationnelle. L’objectif ? Instaurer une norme internationale et industrielle reconnue pour les acheteurs de minerais, éviter que sa mise en œuvre ne se heurte à des contraintes pratiques et permettre à l’ensemble des acteurs de la filière d’adapter leurs décisions à une multiplicité de contextes locaux.

Cette nécessité est rendue encore plus impérieuse dans le contexte actuel de transition énergétique, qui accentue les tensions sur les chaînes d’approvisionnement de métaux et fragilise en retour les mineurs artisanaux et à petite échelle. De nombreux exemples ont été présentés lors du Forum par des acteurs présents sur le terrain. Ce fut le cas de Blessing Hungwe-Nharara, de l’association Women in Mining Zimbabwe. L’explosion soudaine de la demande mondiale de lithium, métal très facilement accessible dans ce pays qui en possède les sixièmes réserves mondiales, a provoqué un essor de la production artisanale en l’espace d’une seule année. Or ce délai est très insuffisant pour pouvoir mettre en œuvre une filière d’exploitation et de revente responsable. Emmanuel Umpula Nkumba, de l’association Afrewatch, constate de son côté l’impact de la forte augmentation de la production de cobalt en RDC sur les populations locales, et notamment sur les enfants, dans un pays où la production minière artisanale concerne près de 6 millions de personnes. Conseillère au sein de l’ONG ActionAid, Sophie Kwizera a décrit les conséquences de l’explosion de la demande de manganèse sur le secteur informel en Afrique du Sud. L’exploitation artisanale étant interdite et réalisée sous terre, la plupart des mineurs individuels opère au prix de graves risques sans les mesures de sécurité adéquates. Dans un autre contexte, Alex Kopp, de l’ONG Global Witness, s’alarme du mode d’exploitation des terres rares dans le Nord-Est du Myanmar. Cette zone de quasi-non droit concentre en effet près de de 300 sites d’exploitations illégaux, souvent criminalisés, avec à la clé des dommages environnementaux et sociaux considérables.

Comment faire, dans ces conditions, pour créer des chaînes d’approvisionnement en minerais responsables ?
Une première réponse repose sur l’implication des gouvernements locaux à travers des politique publiques inclusives et ambitieuses, bien sûr. Ivan Fortin, de la société minière publique chilienne ENAMI, a rappelé à ce titre le cadre mis en place par le gouvernement local en 1996 et qui encourage les grands opérateurs à fournir aux mineurs artisanaux une protection sociale, des financements et une intégration peine et entière aux chaînes de valeur légales.

Nécessaires, ces initiatives publiques ne sont pas pour autant suffisantes. Car ce qui est en jeu, c’est aussi la responsabilisation de l’aval de la chaine de valeur via la promotion d’un cadre normatif plus vertueux. C’est ce qu’ont exploré les intervenants de la table-ronde organisée sur le thème « Les obstacles à l’or responsable : comment les efforts de l’industrie peuvent-ils se traduire par des résultats concrets sur le terrain ? » en partant du double constat d’une hausse de l’exploitation illégale et de l’insuffisance des initiatives multipartites visant à traiter les risques de conflit, le financement du terrorisme, les violations graves des droits de l’homme et le blanchiment d’argent. Bref, le combat qui doit être mené est bel et bien celui contre la criminalité.

Selon Marcena Hunter, analyste au the Global Initiative Against Transnational Organized Crime, l’emprise des réseaux criminels sur la filière a muté au cours des dernières années. Tout d’abord parce qu’ils se rapprochent de plus en plus de l’amont de la chaîne de valeur et donc, des mineurs artisanaux eux-mêmes. Mais pas forcément en exploitant les mines, qui est une activité risquée, mais plutôt en fournissant des machines, des services ou des équipements, ce qui est nettement plus sûr. Surtout, ils ont atteint une sophistication telle qu’ils sont en mesure de détourner la règlementation à leur profit, ce qui les rend moins détectables.

Un problème qui ne peut pas être résolu sans humilité et sans une responsabilisation à tous les niveaux, selon Brad Brooks-Rubin, conseiller à l’US Department of State. L’intersectionnalité du double sujet de la formalisation des mineurs artisanaux et de la lutte contre la criminalité appelle ainsi une réponse à plusieurs niveaux : accroître les programmes de développement, généraliser les sanctions, adopter une nouvelle approche pour assurer le respect des lois, multiplier les avertissements et promouvoir l’engagement de l’ensemble de la filière. Ancien agent de l’Organisation mondiale des douanes (WCO), David Kane souligne quant à lui la nécessité d’améliorer les capacités de réponse des gouvernements en matière de police ou encore d’intelligence financière et de renforcer la formation opérationnelle des personnels concernés. Plusieurs opérations transnationales ont ainsi été menées depuis 2019 et ne cessent de monter en puissance depuis lors, ce qui a permis de roder les pratiques et de mener des saisies à hauteur de plusieurs millions de dollars.

Gregory Mthembu Salter, du cabinet Phuzumoya Consulting, prône également une approche modeste face à l’immensité de la tâche. Seuls 3% de la production artisanale d’or estimée en 2020-2021 ayant été enregistrée de façon formelle, la question est celle de l’incitation des communautés à entrer dans le circuit formel, qui est un processus complexe dont le payoff est limité. La réponse serait donc de ne pas se disperser en focalisant les efforts sur les zones où la production artisanale est quantitativement importante, où le contexte légal est incitatif et qui bénéficie de la présence structurante d’intermédiaires et d’agrégateurs impliqués dans cette démarche.

Enfin, Abidh Chappan, expert AML au Ministère de l’économie des Emirats Arabes Unis, a rappelé la responsabilité des places de marché de métaux précieux. Le problème est en effet que le caractère non obligatoire des nouvelles normes crée un marché à deux vitesses.

Si la tâche est grande, les volontés sont donc bien là. De quoi conclure le forum sur un optimisme prudent.

Pour aller plus loin :

Vers les vidéos des conférences : https://www.oecd-events.org/responsible-mineral-supply-chain/fr/content/live-

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