Joaillerie : un approvisionnement de plus en plus responsable
Trois voies sont explorées concomitamment par les grands acteurs du secteur : renforcer la traçabilité des livraisons, restreindre le sourcing et participer directement à l’amélioration des conditions sociales et environnementales de production. Une triple approche qui passe par des initiatives individuelles, mais qui nécessite aussi des coopérations de plus en plus poussées.
Compte tenu de ses enjeux environnementaux et sociaux, le secteur des métaux précieux est incité par ses parties prenantes à tendre vers un modèle plus durable que ce qu’il avait pu être parfois par le passé. Les acteurs en aval de la chaîne de valeur portent une responsabilité particulière, car en sélectionnant scrupuleusement leurs partenaires et en conditionnant leur approvisionnement à de stricts critères de durabilité, ces derniers ont la possibilité d’influer directement sur l’ensemble des pratiques des acteurs plus en amont, jusqu’à l’extraction des minéraux et leur transformation.
Une pression du législateur, mais aussi des clients
Cette tendance générale à adopter des pratiques plus responsables s’explique par deux raisons.
La première raison est d’ordre règlementaire. Le législateur impose en effet une pression normative croissante pour orienter les entreprises vers des pratiques plus vertueuses. La directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) vise ainsi à améliorer et surtout à harmoniser la divulgation d’informations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) par les entreprises à partir de 2024, poussant ces dernières à adopter des stratégies à la fois lisibles et ambitieuses. En juin 2024 soit très récemment, l’Union européenne a égaelment adopté une directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD) obligeant les acteurs à une meilleure traçabilité.
La seconde raison découle des exigences des clients finaux, qui sont de plus en plus sensibles à l’impact de leur consommation et réclament désormais des preuves de durabilité avant d’acheter un produit. Une demande d’autant plus impérieuse que la joaillerie repose sur un approvisionnement en pierres et en métaux précieux qui provient pour une large part d’acteurs artisanaux, confrontés à des enjeux particulièrement sensibles : précarité des conditions de travail, qualité des équipements, accès difficile aux circuits formels ou encore équité dans la redistribution des revenus.
Des dispositifs séquencés en trois composantes complémentaires
Comment font les grands acteurs de la joaillerie dans ces conditions ? Des politiques de développement durable ont ainsi été formalisées de longue date afin de cadrer les initiatives et de les inscrire sur le temps long. Trois voies sont largement explorées. La première consiste à renforcer la traçabilité des livraisons de matières premières afin de garantir aux consommateurs que leurs bijoux ne sont pas entachés d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. La seconde est de restreindre le sourcing aux seuls pays et zones respectant une règlementation minimale. Une troisième revient à améliorer les conditions sociales et environnementales de production en accompagnant directement les coopératives et en intervenant sur le process d’extraction et de transformation via des projets de formation, de fourniture d’équipements et de financement.
Des réponses à la fois collectives…
Ces actions sont menées de deux manières différentes. Elles sont tout d’abord collectives et reposent sur des coopérations de plus en plus fortes entre les joailliers eux-mêmes, mais aussi en lien avec les institutions publiques et privées, les scientifiques et les ONG. La mise en commun des énergies et des financements permettant une meilleure efficacité, des organismes dédiés ont ainsi été créés afin de définir des standards de place et de mutualiser les moyens humains et financiers. C’est le cas par exemple de l’association Swiss Better Gold, qui fédère les grands acteurs de la joaillerie présents en Suisse, comme Audemars Piguet, Cartier ou Chopard, ou encore de l’Alliance For Responsible Mining. Leur objectif commun est de garantir aux joailliers que leurs approvisionnements en métaux précieux reposent sur une juste rémunération de l’ensemble de la chaîne de valeur et d’accompagner les coopératives de mineurs artisanaux vers des pratiques plus responsables via la mise en œuvre de projets concrets sur le terrain.
Une autre initiative de place est le Responsible Jewellery Council (RJC). Cette organisation à but non lucratif cherche à promouvoir et à certifier les pratiques éthiques au niveau mondial sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement d’or et de diamant en définissant des normes et en délivrant des certifications officielles aux entreprises les respectant.
… et individuelles
Au-delà de ces réponses collectives, les joailliers se saisissent également de cet enjeu à leur niveau, afin de s’assurer de la durabilité de leurs propres approvisionnements. Tous les acteurs du secteur ont entrepris des démarches en ce sens. Pour les plus grands d’entre eux, celles-ci sont largement centralisées, afin de faire profiter des meilleures pratiques à l’ensemble de leur portefeuille de marques. C’est notamment le cas de Richemont, dont la durabilité de l’approvisionnement de l’usine de traitement Varinor est certifié par RJC. Une gouvernance spécifique a également été conçue autour d’un nouvel organe, le Gold Sourcing Committee, dont le rôle consiste à définir les standards, à valider le sourcing et à contrôler tous les maillons de la chaîne. Enfin, un ensemble d’outils et de process a été conçu et mis en place afin d’identifier le plus en amont possible, puis d’évaluer et de gérer tout risque sur la durabilité de la chaîne d’approvisionnement.
De son côté, LVMH s’est engagé à doter d’ici à 2030 la totalité de ses filières stratégiques d’un système de traçabilité dédié garantissant une transparence totale des produits et de l’ensemble de ses composants. Cet objectif passe par plusieurs étapes : la connaissance des pays d’origine pour les matières premières stratégiques, tout d’abord, puis l’implémentation d’outils de cartographie fournisseurs définis selon les secteurs et la maturité des filières. Pour chacune des matières premières concernées, dont bien sûr les métaux précieux, le groupe a mis en œuvre un processus de certification ambitieux, appuyé sur les standards les plus rigoureux du secteur. Une approche qui rappelle celle de Kering. Cet autre acteur français d’envergure mondiale a imposé des standards d’approvisionnement très stricts à l’ensemble de ses fournisseurs. Régulièrement actualisés, ces derniers constituent un socle permettant d’assurer la conformité des pratiques aux critères sociaux et environnementaux définis par le groupe et ses différentes maisons. Si la traçabilité est acquise à ce jour pour 95% des principales matières premières consommées par le groupe, 100% d’or acheté pour les bijoux est d’ores et déjà défini comme responsable.
Et ce n’est encore qu’un début car la première phase de ces stratégies de responsabilisation des approvisionnements arrivant bientôt à son terme, les prochaines étapes sont d’ores et déjà à l’étude au sein des états-majors des grands acteurs de la joaillerie. Pour le plus grand bénéfice des producteurs de matières premières eux-mêmes !