Approvisionnement en or artisanal : la nécessaire progressivité du processus de formalisation
L’or issu des mines artisanales reste encore sous-représenté chez les grands affineurs et les joailliers en raison des coûts et des risques qui y sont associés. Si le cadre normatif institué par l’OCDE, et le LBMA, invite l’amont de la chaîne à s’engager auprès des circuits des mines artisanales, l’amélioration des pratiques doit s’inscrire dans un processus dynamique et granulaire.
Commençons par un paradoxe : sur les quelque 3.000 à 3.500 tonnes d’or minier extrait chaque année à travers le monde, plus de 20% seraient issus d’exploitations artisanales et à petite échelle. Or malgré leur production relativement importante, la part de ces productions souvent informelles reste infime dans les approvisionnements des grands affineurs, de l’industrie de l’horlogerie et de la joaillerie, mais encore plus des acteurs financiers.
La raison de cette sous-représentation s’explique par l’absence de contrôle sur l’amont de la chaîne de valeur : en effet, les acteurs situés le plus en aval, ne peuvent assumer le coût ni le risque juridique et réputationnel d’un approvisionnement qui ne respecterait pas des normes minimums. De leur côté, les mineurs artisanaux n’ont pas les moyens de se conformer aux meilleurs standards des pratiques minières, faute de ressources financières suffisantes, de maîtrise de compétences spécifiques et d’accès aux marchés formels. En conséquence, la chaîne de valeur est grippée en son milieu avec des opérateurs artisanaux acculés dans une trappe à pauvreté, voire à criminalité, et des affineurs qui se privent volontairement de flux d’approvisionnement potentiellement importants en volume.
Une boîte à outil régulièrement mis à jour
Comment faire enfin se rejoindre cette offre artisanale et la demande globale?
Une première étape a été d’amener l’amont à tracer une trajectoire vers le secteur artisanal et à petite échelle. L’OCDE a ouvert la voie en 2010 en publiant un guide visant à développer des chaînes d’approvisionnement responsables et à encourager l’engagement auprès des circuits du secteur artisanal. Initialement focalisé sur la qualité intrinsèque du produit, l’organisme international a ainsi appelé pour la première fois à appréhender directement les processus de production et leur impact sur leur environnement et les communautés locales. De techniques, les lignes directrices sont parallèlement devenues réglementaires et juridiques. Les mesures requises définissent désormais une diligence raisonnable articulée en cinq étapes:
- l’établissement d’un système de gestion interne dédié,
- l’identification et l’évaluation des risques associés,
- la conception et la mise en œuvre de stratégies de gestion de ces risques,
- la mise en place d’audits indépendants allant jusqu’à des visites sur le terrain et enfin,
- la publication d’un rapport annuel sur l’ensemble des diligences menées.
L’ambition du projet, le nombre élevé de critères d’évaluation et l’hétérogénéité des pratiques empêchent toute interprétation univoque de ce guide.
Le London Bullion Market Association (LBMA) s’est également inscrit dans cette démarche en mettant en place une directive dès 2012 imposant aux affineurs dits Good Delivery un référentiel de règles régulièrement mis à jour et plus récemment en instituant un groupe de travail dédié à l’Artisanal Small Mining (ASM), une Task Force dont le but est de créer une boîte à outils visant à guider les affineurs à travers des référentiels régulièrement mis à jour. Récemment, une déclaration sur l’origine géographique des sources s’est ainsi substituée à la simple obligation de distinguer les métaux miniers et non-miniers d’autrefois. Résultat : voilà déjà une douzaine d’années que les opérateurs de l’amont de la chaîne de valeur ont pris la mesure de l’enjeu et ont amorcé leur courbe d’apprentissage.
Et les industriels ne sont pas les seuls concernés. Le World Gold Council a ainsi proposé en 2024 aux banques centrales de certains pays producteurs d’être signataires des « Principes de Londres », qui définissent notamment le cadre dans lequel ces institutions peuvent initier des programmes d’achat nationaux auprès des mineurs artisanaux locaux.
Faire se rencontrer deux mondes autrefois éloignés
Reste que ces diligences seront vaines si les acteurs ASM ne se conforment pas à leur tour aux exigences requises. Cette stratégie de formalisation du secteur artisanal nécessite des moyens financiers importants et du temps. La solution consiste ainsi à accompagner ces acteurs avec pragmatisme en assumant l’idée que l’amélioration des pratiques s’inscrit dans un processus dynamique en constante évolution. Une granularité doit ainsi être appliquée entre les prérequis. Si certains d’entre eux ne souffrent d’aucunes ambivalences, comme le travail des enfants, d’autres s’inscrivent davantage dans une démarche d’amélioration progressive via des plans d’actions formels et pilotés de façon adaptée, comme par exemple pour l’utilisation du mercure.
Pour cela, les acteurs du secteur artisanal ne doivent pas rester isolés et doivent pouvoir compter sur les institutions de place, comme Swiss Better Gold, dont le personnel sur le terrain met en œuvre des programmes dédiés, mais aussi sur des acteurs intermédiaires indépendants maîtrisant les diligences requises. Ce n’est qu’à ce prix que des acteurs autrefois aussi éloignés sur la chaîne de valeur pourront enfin se retrouver dans la volonté de pouvoir contracter ensemble de façon fluide et en toute sécurité !
Pour en savoir plus:
Rapport ASGM 2024 du World Gold Council
https://www.planetgold.org/sites/default/files/ASGM_Report_2024_French_Full_Report.pdf
Boîte à outil du LBMA sur les due diligences ASM
https://cdn.lbma.org.uk/downloads/ASM-Toolkit-v6.pdf
Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais
https://mneguidelines.oecd.org/Guide-OCDE-sur-le-devoir-de-diligence-pour-des-chaines-d-approvisionnement-responsables-en-minerais.pdf